pour les jours sans atelier

publié le 04/02/2018

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Quelques notes publiées dans la revue Alleretour, n° 2-3, 2018.

pour les jours sans atelier

Elles n’en ont aucunement besoin

Effectivement, elles n’en ont aucunement besoin de l’artiste, de ses effusions et de ses pulsions, de son narcissisme transféré comme une décalcomanie sur la toile, du beau geste – du moins est-il lui persuadé que sa gesticulation est mesure ou colère, récit élégant ou drame universel — et encore moins du bel ordre dans lequel il faudrait les composer… Elles n’ont pas besoin qu’il les invente, les classe, les triture, les pollue. Elles sont tout simplement déjà toujours là.

Disponibles. À l’état naturel, il y a longtemps, mais nous nous en souvenons peu, quitte à en parer quelques peintures de paysages nostalgiques, à déguiser nos souvenirs d’enfance ou à exalter nos premiers élans amoureux.

Présentes. Industrialisées et commercialisées, maintenant, mais nous feignons de croire que toutes ces manipulations ne leur ont pas donné des manières d’exister et des usages. Elles forment une fratrie innombrable qui s’éparpille selon les nécessités ou se recompose au besoin dans des chartes pour des images de marque ou tout autre usage. Elles établissent des codes, ici pour nos circulations, là pour séparer et distinguer nos espaces, administration, commerce, hôpitaux… salon, chambre, cuisine… énonçant ainsi des qualités publiques et privées, des activités et des attitudes et segmentant nos vies selon notre age et notre classe sociale.

Ordinaires. Elles nous accompagnent, nous encadrent même, habillant nos habitudes et nos objets. Elles nous enveloppent et ravivent nos gestes quotidiens par le souvenir des moments passés dont elles sont les balises.

Variées. Elles sonnent différemment les jours, elles s’associent sans se préoccuper ni des convenances, ni des hiérarchies. Chacune en requiert une autre, des autres même, et ne va jamais seule : elles sont polygames et chacune doit sa présence aux autres qui la font apparaître.

Disponibles, présentes, ordinaires, variées, si proches enfin, que nous les oublions, nous les ignorons : elles ne sont plus visibles, elles qui ne sont que visibilités, accordées à nos jours et partagées par tous. Elles qui, malgré leur manifeste présence, pâtissent de leur absence d’exhibition. Ne suffirait-il pas de les interroger : ce qu’elles énoncent, n’est-il pas, en premier, ce que nous avons en commun avec les autres ?

Et l’artiste viendrait du haut de sa singularité les effacer telles quelles sont, les soumettre, les réduire à un « je » qui les délave, nous faire croire – et nous y croyons – que nous avons besoin de ce partage inégalitaire, de cet extraordinaire - extraordinaire vanité, extraordinaire mépris - alors que l’ordinaire nous échappe. Vraiment, en ont-elles besoin, les couleurs ?

La suite dans la revue …

ALLER RETOUR, Arts, culture, éducation

La revue explore de manière transversale de nouveaux territoires aux confins de l’art, des sciences humaines et de l’éducation. Son titre marque le désir d’une approche sensible du voyage intime que représente la confrontation à l’art et des questions que soulève sa transmission.

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