Vos travaux, que vous nommez “peinture”, investissent un champ plus ouvert et sans doute plus problématique que ce qu’on désigne habituellement sous le vocable de peinture. Pourriez-vous, en quelques phrases, définir votre travail ?
A.P. : La peinture offre la possibilité de confronter deux espaces de regard, deux espaces de pensée : celui de notre environnement quotidien avec ses logiques et ses critères d’organisation sociale et l’espace de la peinture, non pas comme miroir, mais comme une vaste entreprise de réappropriation d’un regard singulier, autonome et créatif. Mon travail joue sur des déplacements entre ces deux regards pour brouiller leurs limites, pour donner à l’un les qualités de l’autre, pour associer un environnement collectif à un usage individuel. La peinture réinvente ainsi, je l’espère, sa capacité à participer avec ses propres moyens à cette « communauté singulière » qui semble nous échapper. Je crois au pouvoir de la peinture d’entreprendre une sorte d’autobiographie collective, sans cesse en mouvement et toujours inachevée.
Pourquoi avez-vous accepté l’invitation de “L’Art dans les chapelles” ?
A.P. : Pour deux raisons, si je tais la trame des amitiés qui se sont tissées depuis trois ans autour de “L’art dans les chapelles”. La première est d’exposer dans un lieu qui n’est pas consacré à l’art contemporain. C’est encore un jeu sur les frontières, mais il met en difficulté le travail, ce que les lieux destinés à l’art contemporain ne font pas, et il s’ouvre sur un autre public, particulièrement les personnes qui vivent dans le voisinage. La deuxième est liée à la complexité d’insérer un travail plastique dans une chapelle. Cela repose un ensemble de questions : de type historique, la subordination de la peinture à la religion et le prix à payer pour son autonomie ? Éthique, de quelle communauté de regards et de pensées la peinture peut-elle être encore le catalyseur ? Social et politique, quel engagement peut-elle encore porter ? Ou encore, vis à vis de son propre travail, quelle est cette nécessité d’un “donner à voir” ?
Qu’avez-vous choisi de présenter dans la chapelle ? Pourquoi ?
A.P. : Les travaux ont été faits pour la chapelle, mais ils dérivent directement de ma démarche artistique. Ils sont sans doute déconcertants pour de la peinture : sur un mur, des caisses, plus proches au premier regard d’objets d’ameublement, dont la tranche laisse voir un flux coloré ; sur l’autre, un très long mural, Muralnomade n° : 2, constitué par l’épinglage d’environ 500 plaques de plastique coloré qui se juxtaposent ou se chevauchent. L’ambiguïté des matériaux utilisés, les rapports volume / plan et horizontalité / verticalité, font affleurer un doute et une interrogation sur le processus qui fait peinture. Mais c’est ce change des données et l’emprunt de formes ou de matériaux quotidiens qui stimulent le parcours du regard. Ils l’ouvrent à un perpétuel échange entre ce que nous regardons et ce qui nous regarde, entre la peinture et notre vécu, entre le geste individuel et le continuum quotidien d’images, de couleurs, de formes auquel nous sommes soumis, tout en y étant inclus.
Quel dialogue souhaitez-vous voir se développer entre ce travail et la chapelle ?
A.P. : J’ai essayé d’établir une distante complicité entre mes travaux et la chapelle ; non pas religieusement, mais autour des gestes qui se sont inscrits dans ce lieu : les gestes symboliques, les gestes du premier et du dernier regard, les gestes que toute chapelle a fait naître ; des gestes de vie et des gestes de mémoire. Celui, par exemple, bien connu en Bretagne, d’offrir un ex-voto après avoir échappé à un accident ou un naufrage. Gestes de vie donc, ces plaques de couleur, couvrant le mur de la chapelle, comme l’accumulation lente de gestes individuels établissant une sorte de consonance des différences. Les autres pièces jouent sur une triple résonance : peintures, qu’un regard distrait prendra pour des bancs, mais encore, puisque le lieu est une chapelle et que la dimension des pièces est celle d’un corps étendu : gisants, comme des gestes de mémoire. Mais je serais tenté de dire que ce dialogue avec la chapelle surgit en arrière plan, quand la peinture se retire, quand chaque regardeur a appréhendé l’ensemble des pièces et les déplacements qu’elles ont mis en œuvre, qu’il y a perçu l’affirmation de sa propre présence au sein d’une temporalité qui déborde.