"Que disent les couleurs ?"

Un dossier coordonné par Marion Lary et Antoine Perrot

publié le 08/04/2011

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La couleur est le lieu où, dans l’expérience quotidienne, s’articule la sphère privée et l’espace public. Elle est comme le nom propre de chacun, une empreinte singulière tissée d’une histoire personnelle et d’une histoire collective. Nous la parlons et elle nous parle. C’est ce qui crée son ambivalence en termes d’identification, de récit personnel et d’intériorisation des normes et rend périlleux l’exercice d’en dresser une cartographie exhaustive et frontale.

Il n’y a pas de domaines où la couleur ne joue pas un rôle. De la littérature à la philosophie, de la physique à la chimie, de l’histoire politique à l’histoire des arts visuels, la couleur participe aux représentations de nos savoirs et de nos expériences. Dresser une cartographie exhaustive et frontale de ses multiples usages ou traductions conduirait néanmoins à esquisser un atlas de champs de bataille où chaque couleur revendiquerait la victoire, mais une victoire fragile, construite sur la défaite de ses points d’appui et sujette à tous les renversements. Se dessinerait alors une carte monochrome, grise, sans orientation, ni échelle, libérant pour chacun cette certitude que la perception de la couleur nous abandonne à la fiction autobiographique.

Mais si la couleur est avant tout un phénomène psychologique, elle est aussi un vecteur oblique qui permet d’interroger, sous forme d’échappées, des lieux, des situations et des usages. La couleur reste ainsi une figure labile, fortement ancrée dans son époque, qui, selon son emploi, réunit ou divise, identifie ou discrimine, échappe ou réduit à une position, appelle le mélange et la mixité, devient l’objet d’un conflit, oublie parfois d’avoir un nom ou s’invite d’une manière inattendue.

C’est au sein de cette ambivalence que la couleur prend la figure d’une entremetteuse. Il faut donc l’interroger comme telle pour saisir comment derrière sa séduction de façade et sa partition esthétique, elle joue un rôle de marqueur social, politique, historique et culturel. Comment la production des catégorisations chromatiques, et sans doute en premier la couleur du corps humain, induisent des hiérarchies conscientes ou inconscientes qui fixent nos modes de représentations. Comment, sous le couvert de la fiction, elle peut désigner des identités communautaires ou des classes sociales. Ou quand son nom échappe, des situations instables, nomades et sans territoire. Ou encore comment, dans un renversement de ses symboliques, elle peut devenir l’étendard d’une lutte politique. Comment, dans l’affirmation de sa présence, ou de son absence, elle peut convoquer dans le cinéma, la littérature ou les arts visuels, notre temporalité et nos manières d’être au monde.

La couleur, passeur souvent clandestin, nous permet-elle d’interroger différemment le tracé des frontières de nos représentations ? C’est ce que ce dossier tente d’explorer.

Voir le sommaire et lire les articles : Vacarme, n° 52

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